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Table des matières

Les compléments alimentaires utilisés en prévention sont-ils bénéfiques, inutiles, ou néfastes ?
Les données actuelles sont insuffisantes pour sortir des réponses spéculatives. Divers éléments conduisent cependant à l’évidence qu’une alimentation naturelle adaptée aux organismes humains est plus pertinente que des complémentations pour une prévention durable.

Il n’a jamais été démontré qu’une complémentation préventive apporte des bénéfices supérieurs à une alimentation diversifiée avec des produits de qualité. Malgré cela, des communications médiatisées préconisent de telles complémentations. L’argument le plus fréquent est que les conditions environnementales du monde actuel augmentent les besoins, sans pouvoir les satisfaire par de simples apports alimentaires. Cette hypothèse n’est validée par aucune expérimentation fiable, et elle ne prend pas en compte trois aspects majeurs de la nutrition humaine :
– Les besoins réels des individus ne sont pas connus.
– Le modèle mécanique sur lequel repose la complémentation est une représentation approximative et parfois erronée du fonctionnement des organismes.
– La nature ultra-transformée des compléments alimentaires n’est pas adaptée à une assimilation régulée selon les besoins par les automatismes physiologiques.

Les besoins micronutritionnels

La détermination des besoins repose sur la corrélation entre les apports journaliers recommandés (AJR) et l’analyse diététique du contenu des assiettes.
Les AJR sont des calculs statistiques visant à fixer un seuil au-delà duquel la grande majorité de la population éviterait les déficiences. C’est une norme collective qui ignore les disparités individuelles. Les besoins de certaines personnes sont en deçà des chiffres avancés, ce qui explique que malgré une déficience théorique, elles peuvent être en bonne santé.
Par ailleurs, les AJR indiquent la quantité absorbée et non la quantité assimilée. L’assimilation digestive des micronutriments (vitamines, minéraux, oligoéléments, antioxydants) n’est pas mécanique et proportionnelle aux apports. Elle est régulée par des processus complexes qui absorbent activement les diverses substances, avec généralement la capacité à augmenter le rendement quand les apports sont faibles ou quand les besoins augmentent. Un tel mécanisme issu de l’évolution de la vie, est un bijou régulateur d’homéostasie qui fonctionne d’autant mieux que le tube digestif est fonctionnel, ce qui dépend notamment de la qualité de la muqueuse intestinale et du microbiote, et que les nutriments sont inclus dans une matrice naturelle que la biologie reconnaît. Ainsi, des millénaires de pénuries nous ont appris à faire avec peu quand il y a peu. Et même avec rien pendant un certain temps puisqu’un jeûne peut durer jusqu’à 40 jours sans conséquence notable.
Il y a donc matière à se questionner sur ce qui conditionne la réponse aux besoins : s’agit-il d’un niveau d’apport fixe calculable par statistiques, ou d’une capacité adaptative qui compose avec ce qui est là dès lors que les conditions de la régulation naturelle sont respectées ? Dans la seconde voie, la qualité naturelle (matrice vivante et proportions spontanées présentes dans les structures vivantes) est bien plus importante que la quantité de nutriments apportés.

Les déficiences micronutritionnelles

Une autre manière d’approcher les besoins est la détection des déficiences, soit en fonction de signes caractéristiques, soit par des dosages biologiques.
Les carences majeures (scorbut, béri-béri, rachitisme…) se manifestent par des symptômes spécifiques, ce qui n’est pas le cas des déficiences modérées. Celles-ci affaiblissent le terrain avec des signes davantage liés à la nature du terrain biologique qu’aux nutriments manquants. Il y a donc beaucoup de spéculations dans les interprétations qui associent certaines manifestations cliniques à des déficiences nutritionnelles.
Les dosages qui entrent dans les bilans biologiques de terrain sont en pleine expansion, bien qu’ils ne se situent pas dans le cadre de la biologie conventionnelle. C’est d’ailleurs toute leur faiblesse. Développés hors du cadre universitaire et sans évaluations expérimentales rigoureuses, ils reposent sur des hypothèses qui ont fait un rapide raccourci entre chiffre inférieur à la norme et déficience nécessitant une complémentation, dans une logique d’allopathie mécanique. La valeur de ces dosages est contestable à plusieurs niveaux (1) :
– Les normes sont établies par calcul statistique, sans corrélation avec des manifestations objectivables.
– La corrélation entre les niveaux sanguin et cellulaire, ou avec le stock réel de l’organisme, est incertaine. Pour les minéraux les mieux connus (fer, magnésium), il n’y a pas de corrélation fiable. Les profils d’acide gras membranaires donnent régulièrement des résultats incompréhensibles s’il y avait corrélation directe entre les apports nutritionnels et leur incorporation dans la membrane érythrocytaire. Cette incorporation répond probablement à un programme biologique spécifique qui n’est pas uniquement lié aux proportions d’acides gras circulants.
En prenant en compte ces anomalies observées, qu’est ce qui nous permet de dire aujourd’hui que le résultat d’un dosage reflète fidèlement l’état de déficience ?
– Les niveaux sanguins circulants de micronutriments dosés sont-ils stables dans le temps, ou présentent-ils des fluctuations selon les apports alimentaires ? Là aussi, un exemple bien connu, l’iode, nous montre qu’il y a réellement des fluctuations. Le résultat d’une iodurie varie d’un jour à l’autre en fonction des apports.
L’argument parfois avancé d’une amélioration observée quand une complémentation est proposée suite à un bilan montrant une déficience a peu de valeur. On sait que l’effet placebo est maximal quand une démarche identifie un problème (réel ou non) et lui apporte une solution. Il faudrait une expérimentation en double aveugle pour vérifier que l’effet obtenu est plus élevé que l’effet placebo.

La réalité des déficiences

Des observations concordantes évoquent que les déficiences micronutritionnelles sont devenues courantes, avec de conséquences à long terme. Les déficiences entraînent des mécanismes compensatoires quand l’homéostasie qui fonctionne idéalement avec des apports suffisants en tout ce qui lui est nécessaire doit faire face à la disponibilité insuffisante d’un ou plusieurs micronutriments (2).
Une cause majeure de déficience est la consommation de produits ultra-transformés qui, en plus d’être appauvris, ont perdu la matrice naturelle des aliments originels, ce qui perturbe les processus régulateurs.

Solution face aux déficiences

La solution la plus naturelle est de rétablir une alimentation vraie, diversifiée, à dominante végétale (3), avec laquelle les apports sont accrus et la régulation naturelle peut ajuster comme elle sait le faire le niveau d’assimilation aux besoins.
Les compléments alimentaires utilisent une tout autre démarche. Ils ont des niveaux élevés de nutriments, avec pour les structures organiques des formes de synthèse plus ou moins proche des formes naturelles. Tous ces nutriments sont concentrés dans un comprimé ou en gélule, afin de forcer l’assimilation d’une quantité élevée. Il s’agit clairement d’une allopathie de terrain, avec des produits ultra-transformés qui créent des conditions digestives totalement inconnues de notre mémoire biologique. Il est étonnant que de tels produits soient souvent mis en avant par des auteurs qui par ailleurs vantent les vertus de la santé naturelle.
En outre, pour qu’ils soient efficaces en prévention, ils devraient aussi être pris à vie, puisque c’est bien tout au long de la vie que l’on se nourrit et que les micronutriments se renouvellent en permanence.

Il est donc plus cohérent de répondre au risque de déficience par une alimentation 3V (vraie, variée, à dominance végétale), qui est une solution unique à toutes les déficiences.
La complémentation est plus onéreuse, incertaine dans son efficacité dans la mesure où seuls certains nutriments sont concernés. Elle perturbe la régulation naturelle de l’assimilation en fonction des besoins, en apportant des concentrés sans trame vivante, pour lesquels la physiologie n’est pas adaptée.

Le rôle bénéfique incontestable des compléments alimentaires

La médecine moderne, avec ses indéniables succès face aux maladies aiguës, aux accidents et aux malformations, a montré que dans ces contextes extrêmes, la thérapie mécanique qui répare l’intégrité d’une structure menacée est pertinente. En revanche, ses échecs récurrents face aux maladies chroniques résultant de mécanismes complexes révèlent que ce modèle mécanique n’est pas adapté pour corriger un processus durable, et par extension à le prévenir. Celui-ci étant auto-organisé, il ne peut que s’auto-guérir, et s’auto-prévenir.
De même, les compléments alimentaires inadaptés à la prévention durable alors qu’ils sont une solution idéale à des situations spécifiques, dans lesquelles l’accroissement de la disponibilité de certains nutriments répond directement à l’insuffisance métabolique en cause.
Le traitement vitaminique des carences profondes est connu de la médecine depuis longtemps.
La vitamine C pour protéger les fumeurs du stress oxydatif, le magnésium lors des manifestations spasmophiles, les produits multi-vitaminiques complets dans les situations de burn-out, les vitamines B9 et B12 dans les syndromes dépressifs, la glutamine pour régénérer la muqueuse intestinale, le zinc lors d’infections virales… sont ainsi des solutions concrètes d’autant plus intéressantes qu’elles aident à dépasser une difficulté et ne seront plus utiles ensuite.
Il y a ainsi de nombreuses situations dans lesquelles la nutrithérapie complémentaire s’associe avantageusement à un accompagnement intégratif, particulièrement lorsqu’ils sont conseillés de manière adaptée à une situation par un professionnel compétent.

Les compléments alimentaires peuvent-ils être dangereux ?

La dangerosité fait débat. La science médicale qui la met en avant est plutôt mal placée pour le faire. Elle serait plus crédible si elle balayait devant sa porte en reconnaissant mieux le risque des produits hautement plus dangereux que sont ses médicaments. Les compléments alimentaires sont souvent inutiles, rarement néfastes, et sans conséquence notable quand les cures sont limitées dans le temps.
Il y a cependant des risques démontrés. Le fer et le cuivre présents dans les compléments sous forme pro-oxydante (qui n’est la forme alimentaire) sont à utiliser avec prudence. Les antioxydants puissants qui dérégulent la subtile et complexe défense de l’organisme face au stress oxydatif ont montré lors de certaines études des effets néfastes.
Prescrire certains compléments alimentaires à forte dose ou de sur de longues durées en toute sécurité demande une certaine compétence.

Le manque d’information pertinente pour choisir les meilleurs produits

Il existe une multitude de compléments alimentaires avec des prix et des qualités variables. C’est le résultat du libéralisme économique dans lequel le plus malin devient généralement leader du marché, sans pour autant proposer la meilleure qualité.
L’information fournie par les fabricants et distributeurs intéressés par leur vente ne peut être objective (4).
Il n’y a pas d’organisme indépendant pour donner un avis clair sur la qualité. Cela demanderait un travail titanesque. Un essai tenté en 2013 au sein de l’Université de l’Avenir a rapidement été abandonné, par manque de financement. Il a cependant permis de faire une synthèse sur les qualités d’un complément en magnésium et une évaluation notée d’une cinquantaine de produits distribués en France (5).

RÉFÉRENCES

Jacques B. Boislève
Jacques B. Boislève

Consultant Formateur - Nutrition, psychologie et santé intégratives

Cette publication a un commentaire

  1. Michel Drezen

    Merci pour cet article. Je l’ai beaucoup apprécié. Une approche de la complémentation alimentaire que l’on rencontre rarement, voire jamais. C’était un bonheur de lire votre article qui met de nombreuses choses en perspective.

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