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SOMMAIRE

L’importance du microbiote intestinal comme facteur de santé est aujourd’hui largement reconnue. Certaines recherches focalisées sur les espèces bactériennes bénéfiques visent avant tout à proposer des souches probiotiques brevetées comme solution thérapeutique, alors que les données actuelles penchent plutôt sur l’intérêt d’une diversité entretenue par une alimentation favorable.

MICROBIOTE INTESTINAL ET SANTÉ

À ce jour, des liens de causalité entre la composition du microbiote intestinal et diverses pathologies sont souvent suggérés, mais rarement vérifiés, les études aboutissant souvent à des résultats différents, voire contradictoires. Il est possible que, selon les individus, des microbiotes de composition différente possèdent des fonctionnalités similaires, et que des microbiotes de composition similaire aient des profils fonctionnels différents. [1]
Malgré le manque de preuves concrètes, il est désormais évident que la qualité du microbiote est un facteur majeur de prévention générale qui réduit la survenue de diverses pathologies chroniques.
C’est aussi une piste thérapeutique pour ces maladies.
Les recherches effectuées à ce jour sur les variations du microbiote dans les situations de surpoids ou lors du vieillissement convergent vers un constat simple : la perte de diversité est accompagnée d’une perte de fonctionnalité qui réduit le rôle bénéfique de la flore intestinale sur la santé générale.
La démarche préventive la plus simple et la plus sûre est donc de favoriser cette diversité

LA PISTE LIMITÉE DES COMPLÉMENTS PROBIOTIQUES

Les probiotiques apparus à la fin du siècle dernier ont montré des effets favorables dans diverses situations d’inconfort ou de maladies. Il y a cependant une part d’inconnu dans leur action, du fait que les quantités de micro-organismes qui arrivent au niveau intestinal, comparées à la totalité du microbiote, sont comme une goutte d’eau dans une rivière. Il n’y a donc pas la possibilité d’une réelle modification de la nature du microbiote, mais plutôt de certaines fonctionnalités.
Par ailleurs, il est clairement établi que leur action ne dure que le temps de leur prise, et qu’elle n’entraîne donc pas de modification durable.
Le succès des probiotiques, lié au fait qu’ils représentent un marché déjà important et amené à se développer, ne doit pas faire oublier que ce sont des solutions curatives ponctuelles à certaines situations, avec un mécanisme qui reste à préciser, et non une prévention pour une santé durable.

LA PISTE ALIMENTAIRE : UNE SOLUTION NATURELLE ET DURABLE

Le microbiote intestinal est un écosystème complexe, qui se développe de manière singulière avec une spécificité identitaire pour chaque organisme, en fonction de plusieurs facteurs. Des bases durables se posent dès la plus petite enfance, et l’ensemble évolue ensuite sous l’influence de divers événements, parmi lesquels les gastro-entérites, les traitements antibiotiques, et le mode de vie, en particulier l’alimentation.
Le microbiote intestinal, avec le vieillissement et dans diverses situations pathologiques, tend vers la diminution de sa diversité microbienne, qui semble être un facteur défavorable pour la santé générale.
L’alimentation est probablement le principal acteur de développement et de maintien de la diversité du microbiote intestinal.
Elle intervient de plusieurs manières :
– En évitant les produits néfastes pour les espèces bactériennes bénéfiques.
– En améliorant la qualité des lipides et le statut en vitamine D.
– En nourrissant la flore microbienne (effet prébiotique).
– En apportant des ferments vivants (effet probiotique).

❍ Les aliments néfastes pour le microbiote, à éviter, peuvent agir :
– Par effet antiseptique direct : eau chlorée, excès d’alcool, pesticides, conservateurs utilisés comme additifs et en particulier les sulfites, antibiotiques résiduels dans les produits animaux.
– En perturbant la croissance d’espèces favorables : l’excès de sel a été corrélé à une diminution de certaines bactéries bénéfiques, associée à une augmentation des lymphocytes Th17, favorisant ainsi les situations inflammatoires [2].
– En stimulant la croissance d’espèces peu favorables : excès de sucres et d’aliments ultra-transformés, édulcorants.

❍ Les apports lipidiques ont une influence désormais reconnue sur la flore digestive. L’effet le mieux établi est la corrélation entre les apports en acides gras polyinsaturés oméga-3 et la diversité du microbiote. Il y a une corrélation spécifique avec le DHA qui n’exclut pas l’intérêt des autres acides gras de la famille oméga-3. Cela confirme cependant l’intérêt nutritionnel des oméga-3 à longues chaînes présents dans les produits animaux, poissons gras principalement.

❍  Le lien entre microbiote intestinal et vitamine D a été montré par une expérience d’exposition aux UV [3], reproduisant les effets du soleil. Bien que cela demande à être confirmé, un effet favorable sur la composition de la flore digestive est tout à fait cohérent avec les multiples bénéfices d’un statut élevé en vitamine D obtenu naturellement [4].

Les aliments prébiotiques contiennent des nutriments qui ne sont pas assimilés lors de leur passage dans l’intestin grêle et cheminent donc jusqu’au côlon, où se trouve la plus grande partie du microbiote. Ce sont majoritairement des fibres végétales, secondairement des polyphénols et des peptides.
Les fibres sont apportées par tous les produits végétaux non raffinés, crus ou cuits : fruits, légumes, céréales complètes, légumineuses, fruits et graines oléagineux. Les oligosaccharides, classés parmi les FODMAPs, sont particulièrement précieux, ce qui confirme qu’un régime restrictif sans FODMAPs n’est pas une solution durable.
– Des études recherchent le bénéfice particulier de certains aliments. C’est le cas, avec un résultat positif, pour l’avocat. Il y a cependant risque d’égarement sur cette voie, la diversité alimentaire étant la meilleure garantie de la diversité microbienne de la flore.
– Les amidons résistants qui se forment lorsqu’un féculent (céréale, légumineuse ou tubercule) est cuit, puis refroidi plusieurs heures à température d’un réfrigérateur, sont assimilables à des fibres. Leurs propriétés sont intéressantes et ils complètent la panoplie prébiotique de l’alimentation.
– Les polyphénols sont une vaste famille d’antioxydants présents dans divers produits végétaux : fruits et légumes, particulièrement lorsqu’ils sont colorés, le thé vert, l’huile d’olive, le cacao, le vin rouge, le curcuma. Ils sont plus ou moins bien assimilés. Ceux qui sont bien assimilés ont une action générale, alors que ceux qui ne passent pas la barrière intestinale ne sont pas perdus pour autant, puisqu’ils ont un effet bénéfique sur le microbiote, certaines souches se développant mieux en leur présence.
– Des peptides contenus dans les aliments ou résultant de leur digestion partielle pourraient avoir un effet bénéfique sur la diversité de la flore intestinale. C’est ainsi qu’on expliquerait l’effet prébiotique du sarrasin, constaté expérimentalement.

❍ Les aliments probiotiques apportent directement des micro-organismes qui trouvent leur place dans le microbiote et enrichissent sa diversité. Les végétaux consommés crus, modestement, apportent les micro-organismes qu’ils portent.
Certains aliments fermentés sont de ce point de vue beaucoup plus intéressants.
Plusieurs objectifs motivent la fermentation alimentaire : une plus longue conservation, une amélioration des qualités nutritionnelles ou gustatives. Dans certains cas, les ferments utilisés sont intéressants pour le microbiote et se trouvent en quantité notable dans le produit fini. On peut alors parler d’aliments probiotiques.
Le tableau suivant récapitule les principaux aliments fermentés, en soulignant ceux qui peuvent avoir une qualité de probiotique.

FAMILLE
ALIMENTS
PRODUITSTYPE DE FERMENTATIONFERMENTS (1) PRINCIPAUX
(COURAMMENT UTILISÉS)
INTÉRÊT PROBIOTIQUE
Produits laitiersYaourtsLactiqueSteptococcus thermophilus
Lactobacillus bulgaricus
?
FromagesLactiquePrésure et/ou ferments lactiques
parfois moisissures
PropioniquePropionibaterium
Laits fermentés (2)LactiqueMélanges divers+
CharcuteriesSaucissonLactiqueLactobacilles et staphylocoques
+ moisissures en surface
LégumesLacto-fermentésLactiqueLactobacilles du légume ou ajoutés+
SojaMisoComplexeAspergillus oryzae ?
Tamari et shoyuAspergillus oryzae
TempehRhizoporus oligosporus
NattoBacillus subtilis natto
CéréalesPainAlcooliqueLevain (3)
Saccharomyces cerevisiae
BièreAlcooliqueLevures de type Saccharomyces
FruitsVinAlcooliqueSaccharomyces cerevisiae
VinaigreAcétiqueAcetobacter aceti
BoissonsKéfir de fruitLactiqueSCOBY (3) (kéfir)+
Kombucha (thé)LactiqueSCOBY (3) (kombucha)+
Pollen fraisNaturellement fermenté+

(1) Le terme ferment est général. Levain est généralement attribué au pain. Certains mélanges ont le nom du produit formé (kéfir, kombucha). Koji, terme japonais, désigne le jus ou moût d’amorçage d’un processus de fermentation.
(2) De nombreuses spécialités traditionnelles, avec des ferments différents : kéfir (Caucase), koumis (Asie centrale), lassi (Inde), leben (Magreb), lait ribot (Bretagne), ou commerciales : K-philus.
(3) SCOBY (symbiotic community of bacteria and yeast) : mélange symbiotique de bactéries et de levures. Ce terme employé couramment pour le Kombucha s’applique très bien à d’autres mélanges de ferments (kéfir, levain).

LES LÉGUMES LACTO-FERMENTÉS

De nombreux fruits et légumes peuvent être lacto-fermentés en les plaçant dans un milieu propice au développement des ferments qu’ils contiennent. Une concentration suffisante en sel, qui inhibe tous les autres micro-organismes, favorise le développement sélectif des ferments lactiques. Les végétaux deviennent alors lacto-fermentés, avec une consistance et un goût modifiés, ainsi qu’une meilleure conservation, sans pasteurisation ni congélation. Acidité et teneur en sel sont des facteur de stabilité.
➔ La fermentation est un processus métabolique capable de convertir des glucides en acides, en gaz ou en alcools. La réaction ne nécessite pas d’oxygène et produit de l’énergie, en quantité modérée. Elle est un mécanisme majeur pour certains micro-organismes, bactéries ou levures, équipés des enzymes adéquates pour cela et qui peuvent ainsi se développer en milieu non oxygéné.
En utilisant ces micro-organismes, appelés alors ferments, il est possible de transformer certains aliments. Les ferments étant généralement déjà présents sur les aliments, certains procédés de fermentations ont été découverts depuis longtemps et utilisés traditionnellement pour faire du pain, des dérivés de soja, des viandes faisandées, du vinaigre, des boissons alcoolisées. C’est aussi ce procédé qui permet l’ensilage, destiné à conserver le fourrage pour l’alimentation animale, sans putréfaction.
➔ La fermentation lactique, ou lacto-fermentation est la plus courante. Elle transforme un glucide de départ, qui n’est pas forcément du lactose, en acide lactique.
De nombreux fruits et légumes peuvent être lacto-fermentés en les plaçant dans un milieu propice au développement des ferments qu’ils contiennent. Une concentration suffisante en sel, qui inhibe tous les autres micro-organismes, favorise le développement sélectif des ferments lactiques et la transformation en végétaux lacto-fermentés, avec une consistance et un goût modifiés, ainsi qu’une meilleure conservation, sans pasteurisation ni congélation. L’acidité est un facteur de stabilité.
➔ Le plus connu est la choucroute, devenu plat traditionnel alsacien. De nombreux autres légumes peuvent être lacto-fermentés : carottes, betteraves, concombres, aubergines, ails, haricots verts, tomates vertes, cornichons, oignons… Cela peut être effectué chez soi en se procurant un mode d’emploi (et notamment la quantité de sel nécessaire, clé du processus). Certaines préparations artisanales ou industrielles sont disponibles dans le commerce.
➔ On peut aimer ou pas le goût des légumes lacto-fermentés. Ils ont un intérêt évident, avec une conservation qui ne dénature pas le produit de départ et apporte quelques avantages:
– Elle favorise l’assimilation des micronutriments, notamment les minéraux. L’augmentation de la concentration de certaines vitamines, notamment C et B6, parfois mise en avant, est peu documentée. La vitamine B12, absente des végétaux natifs, a été retrouvée dans une préparation à base de fenugrec [5], montrant qu’elle pourrait être produite par certains micro-organismes. Cette piste n’a cependant pas été approfondie.
– Elle apporte des bactéries lactiques qui nourrissent le microbiote intestinal, ce qui en fait de véritables probiotiques alimentaires. C’est leur principal intérêt nutritionnel.
➔ La lacto-fermentation a aussi des inconvénients:
– Le plus important est la concentration élevée en sel. Bien que le produit initial, légume, soit riche en potassium, le produit final contient 3 à 4 fois, voire plus, de sodium que de potassium, ce qui a un effet très défavorable sur le ratio Na/K.
– Certains nutriments peuvent être dégradés. La choucroute par exemple perd un peu de vitamine C et une grande partie des antioxydants initialement présents dans le chou.
➔ Les produits lacto-fermentés ne sont donc pas des produits de base. Ils ont en revanche des atouts indéniables s’ils sont introduits en quantité modérée, en complément d’un ensemble riche en végétaux non transformés.

LES BOISSONS LACTO-FERMENTÉES

Dans un milieu appauvri en oxygène, la fermentation d’un liquide contenant des sucres simples produit de l’acide lactique et du gaz carbonique, ce qui donne un liquide plus ou moins pétillant avec un goût spécifique. Le produit final contient également des bactéries lactiques qui se sont multipliées, ce qui lui donne une action probiotique.
Il existe plusieurs boissons lacto-fermentées qui diffèrent par le produit de départ et parfois par le type de ferments utilisés.
– Le kéfir et le koumis sont connus depuis longtemps des peuples nomades de l’Asie centrale. Ce sont des préparations fermentées obtenues à partir de lait de ruminant. La caractéristique spécifique du kéfir est l’agglomération de son levain en grains, plus ou moins friables, appelés « grains de kéfir », qui permettent d’ensemencer facilement une nouvelle préparation.
Les « grains de kéfir » contiennent de nombreuses espèces de micro-organismes, bactéries et levures, une trentaine en moyenne, vivant en symbiose. La composition varie légèrement suivant la provenance des grains. Les espèces les plus courantes sont Lactobacillus delbrueckii subsp. bulgaricus et casei, Lactococcus lactis, Leuconostoc citreum, Saccharomyces kéfir. Le kéfir de lait est un produit laitier parmi les plus intéressants, digeste et probiotique. Ce n’est pas une boisson.
– Le kéfir d’eau, de sucre ou de fruits est différent. Certaines bactéries peuvent être communes au kéfir de lait, l’ensemble est cependant de nature différente, avec diverses espèces de bactéries et de levures parmi lesquelles : Lactobacillus raffinolactis, Lactobaccilus curvatus Lactobacillus delbrueckii, Lactococcus lactis, Lactobacillus brevis, Lactobacillus kéfir, Lactobacillus kéfiranofaciens, Leuconostoc mesenteroides, Saccharomyces cerevisiae, Klervenomyces marxanius…
Son origine est mal connue, Caucase selon certaines sources, Mexique selon d’autres. Il s’est développé dans les campagnes en Europe à partir du XIXe siècle, devenant la limonade du pauvre, facile et quasiment gratuite à produire, avec des grains qui se donnent de la main à la main.
Sa popularité récente est liée à la fois aux connaissances sur l’importance du microbiote intestinal, et au développement du partage via les réseaux sociaux.
Le kéfir de fruit résulte de la fermentation de fruits (dont des fruits secs et des agrumes) et de sucre en présence de grains qui sont des concentrés microbiens. Le produit obtenu est acidulé, naturellement pétillant, pauvre en nutriments et riche en microorganismes (bactéries lactiques et levures). C’est donc une véritable boisson probiotique, agréable, et au coût de revient très bas [6].
– Le kombucha est une autre boisson traditionnelle originaire d’Asie centrale. Sa préparation se fait à partir d’une colonie de bactéries et de levures ajoutée à un liquide plus ou moins sucré, classiquement du thé. La boisson obtenue est sucrée et acidulée, légèrement gazeuse. Elle est pauvre en macronutriments (c’est donc bien une boisson) et contient divers acides organiques, quelques vitamines et éléments minéraux, un peu d’alcool, ainsi que des bactéries.
Des préparations fabriquées à petite ou grande échelle sont commercialisées, avec des qualités inégales. Certaines contiennent des conservateurs. D’autres sont pasteurisées et perdent ainsi les bactéries, leur principal intérêt nutritionnel !
– On trouve d’autres boissons lacto-fermentées, à partir de légumes, de graines germées, de gingembre, de pain noir ou de betterave (Kvas)… Certaines sont des marques déposées.

NOTES & RÉFÉRENCES

1. A. El Kaoutari : Le microbiote intestinal et la digestion des polysaccharides – Médecine/Sciences 2014, 30 : 259-65
2. N. Wilck et al : Salt-responsive gut commensal modulates Th17 axis and disease. Nature 2017, 551(7682) : 585-589.
3. ES Bosman & al : Skin Exposure to Narrow Band Ultraviolet (UVB) Light Modulates the Human Intestinal Microbiome – Front. Microbiol., 2019, vol. 10, Article 2410
4. En 2020, il n’a toujours pas été possible de reproduire les bénéfices associés à une vitamine D sanguine naturellement élevée par un même niveau obtenu par la complémentation.
5. Gupta U & al: Nutritional quality of lactic fermented bitter gourd and fenugreek leaves. Int J Food Sci Nutr. 1998 49(2) : 101-8.
6. Mode emploi kéfir de fruits

Cet article associe deux extraits du livre NUTRITION SANTÉ ESSENTIELLE

Jacques B. Boislève
Jacques B. Boislève

Consultant Formateur - Nutrition, psychologie et santé intégratives

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