La néophobie alimentaire : un fait biologique

Il n’y a aucune loi qui s’applique à tous les enfants concernant le comportement alimentaire. Il y a cependant des tendances fortes qui se dégagent.
Souvent, jusqu’à une période qui va 18 mois à 3 ans, l’enfant mange ce qu’on lui présente sans rechigner (sauf s’il est perturbé par autre chose). Puis, il se met à rejeter ce qu’il ne connaît pas, sans même le goûter ou avec un choix de rejet qui semble déjà fait. C’est la néophobie alimentaire, un casse-tête pour de nombreux parents.
Des chercheurs anglais ont suivi pendant 13 ans le comportement alimentaire de 2 400 paires de jumeaux, homozygotes et dizygotes. Ils ont montré que les facteurs sociaux et familiaux sont prépondérants jusqu’à 2-3 ans, et ensuite ce sont des facteurs génétiques qui dominent, avec une influence estimée à 70 % (1).
La néophobie alimentaire n’est pas propre aux petits humains, elle est observée dans diverses espèces de mammifères (rat, vache, singe). C’est un mécanisme de protection acquis lors de l’évolution, pour l’ingestion de produits toxiques quand le jeune mammifère commence à explorer son environnement.
On ne peut donc rien faire face à cette néophobie. On peut en revanche favoriser l’élargissement du répertoire alimentaire de l’enfant en lui faisant manger la plus grande diversité avant 18 mois, en évitant trop de mélange pour qu’il mémorise des aliments identifiés, en favorisant les produits avec un goût d’origine (culture potagère ou biologique). Ainsi, il sera moins en mesure de rejeter ce qui est nouveau.
Il y a bien sûr des facteurs individuels qui déjouent cette stratégie, et chaque parent désireux d’apporter à son enfant une nourriture favorable fait ce qu’il peut…
Dans certaines limites, car il y a des situations vraiment difficiles, la stratégie qui semble la plus aidante pour qu’un enfant dans sa période néophobique garde une alimentation diversifiée pour le restant de sa vie est de ne jamais le contraindre et sans pour autant lui laisser de choix sur ce qui est proposé. Sauter certains repas, mis en perspective avec sa santé future, ne compromet pas le rapport bénéfice/risque favorable de la démarche. L’habileté est de mettre régulièrement des plats qu’il apprécie afin qu’il ne se retrouve pas dénutri !

Référence :
1. Zeynep Nas & al : Nature and nurture in fussy eating from toddlerhood to early adolescence: findings from the Gemini twin cohort – The Journal of Child Psychology and Psychiatry, 19 septembre 2024

Conséquences néfastes de la préférence gustative pour le sucré, notamment vis-à-vis des troubles anxio-dépressifs

Une enquête sur 180 000 personnes utilisant l’intelligence artificielle a permis de différencier trois profils de préférences alimentaires.
– Les personnes soucieuses de leur santé qui privilégient les fruits et légumes aux aliments d’origine animale et sucrés.
– Les personnes qui aiment et consomment la plupart des aliments
– Les personnes qui ont une nette préférence sucrée et consomment peu de fruits et légumes

Sans surprise, les personnes qui ont la préférence sucrée ont une incidence plus élevée de la plupart des maladies, avec un effet marque sur l’anxiété, la dépression, la démence, et diverses maladies chroniques. Il n’apparaît pas de différence sur les cancers.
La différence entre ceux qui évitent le sucre, et ceux qui l’introduise dans une alimentation diversifiée est moins marquée et varie selon les pathologies. Concernant l’endométriose, seul le groupe qui évite le sucre tire un avantage significatif.

Référence :
H F Navratilova et al : Artificial intelligence driven definition of food preference endotypes in UK Biobank volunteers is associated with distinctive health outcomes and blood based metabolomic
and proteomic profiles
– Journal of Translational Medicine, 2024, 22:881

Chrononutrition et prise de poids

La chrononutrition repose sur diverses recherches qui ont montré notamment que manger tard est associé à un risque accru d’obésité, à une augmentation de la graisse corporelle et à moins de succès pour la perte de poids.
Une étude plus approfondie sur 16 sujets a exploré les mécanismes en jeu dans ces observations. Il est apparu qu’un repas tardif dans la journée modifie les médiateurs de la faim et de la satiété, conduisant à une moins bonne signalisation de la satiété le lendemain. Il a également été observé que les calories du soir sont brûlées plus lentement et une expression génétique différente oriente la balance lipogenèse/lipolyse vers la lipogenèse (1).

Une autre expérimentation, également sur 16 sujets, tous masculins, s’est intéressée aux modifications de la thermogenèse induite par l’alimentation (DIT – diet induced thermogenesis) selon le moment de la prise des repas, en mesurant divers paramètres dans des conditions variables de la répartition des calories dans la journée : charge maximale le matin, ou le soir (2). Il est apparu que la DIT était 2,5 fois plus élevée le matin que le soir. Cela veut dire que les calories du matin sont davantage dissipées en chaleur corporelle, et sont donc moins disponibles pour le stockage. L’expérience a également montré qu’un repas léger le matin accroît la sensation de faim en cours de journée et en particulier l’attrait pour les sucreries.

Ces deux expériences confirment que de façon générale, pour prévenir la prise de poids ou favoriser sa perte, il est plus avantageux de consommer une part importante de calories le matin et de prendre un repas du soir plutôt léger et le plus tôt possible, ce que propose la chrononutrition. C’est donc une ressource par le changement à prendre en compte, sans pour autant tout miser dessus en lui donnant trop d’importance. Les Espagnols qui par tradition mangent peu le matin et beaucoup le soir (et tard) n’ont statistiquement pas davantage de surpoids que d’autres populations, ni de réduction de l‘espérance de vie. On peut imaginer que la fonction plaisante et sociale de ce mode alimentaire apporte d’autres avantages santé. C’est pourquoi ce changement est à présenter comme une ressource d’amélioration et non une nécessité. Pour certaines personnes, n’étant pas du tout adaptée à leur régulation interne de l’appétit et à leur vie sociale, forcer changement ne ferait qu’aggraver a situation et affirmer que c’est indispensable favorisait le blocage d’une amélioration avec l’aide d’autres ressources.

Références :
1. Nina Vujović & al : Late isocaloric eating increases hunger, decreases energy expenditure, and modifies metabolic pathways in adults with overweight and obesity – Cell metabolism 34(10) :1486-1498
2. Juliane Richter & al : Twice as High Diet-Induced Thermogenesis After Breakfast vs Dinner On High-Calorie as Well as Low-Calorie Meals – JECM, 2020, 105(3) : e211-e221

La biologie et la faim s’adaptent au rythme des repas

Lorsque l’on recherche à réguler les prises alimentaires par la faim et la satiété, la logique est de manger quand la faim est là, ce qui est en pratique pourrait être incompatible avec la vie sociale et familiale, et peu avantageuse quand on connaît l’importance de la convivialité dans la globalité des bénéfices santé d’un comportement alimentaire.
Une recherche récente apporte un éclairage intéressant, en confirmant ce qui est souvent ressenti : lorsque les horaires des repas sont prévus à des horaires réguliers, la sensation de faim tend à s’y adapter.
Les chercheurs ont étudié les variations de la glycémie sur un groupe de sujet en fonction de l’organisation des repas (fréquence et quantité de nourriture) les jours précédents. Il est alors apparu que l’information des habitudes alimentaires était intégrée par la physiologie pour prédire l’heure des repas et ajuster l’apparition de la faim.
En prenant en compte cette étude et l’observation que nous pouvons adapter notre comportement alimentaire aux contraintes extérieures du rythme des repas, il n’est pas besoin de se couper de la vie sociale pour restaurer un ajustement de la quantité des prises alimentaires par les sensations. Cette coupure de la contrainte du cadre reste néanmoins nécessaire, un certain temps, lorsque la perturbation du comportement alimentaire est importante pour commencer un programme de rééducation.

Référence :
Isherwood et al. : Human glucose rhythms and subjective hunger anticipate meal timing –  Current Biology, février 2023.